Le monde selon Léon

Une vie façonnée de voyages qui ont mené Léon aux quatre coins de notre monde.

Les grands espaces, les sables du Sud et leurs nuits étoilées, les grands froids du Nord et les lacs gelés, les mers aux vagues fracassantes terrorisant les rochers ; Léon se souvient de  toutes les impressions et de tous les frissons de bonheur absolu qui ont fait vibrer son corps et son âme durant toutes ces années de quête pour trouver l’épanouissement personnel.

Néanmoins, pour envisager toute une vie de voyage, il fallait tout de même quelques sous en poche. Alors entre deux départs, Léon revenait au bercail. Il exerçait n’importe quel métier qui s’offrait à lui et une fois la cagnotte pleine, il repartait et repartait encore, toujours plus loin et plus longtemps.

Sur place aussi, lorsque la monnaie venait à manquer, il s’embarquait souvent sur les navires marchants et exécutait les tâches que l’on voulait bien lui confier : nettoyer les cales, les ponts ou à la plonge des cuisines. Rien ne le rebutait, il fallait de l’argent pour continuer à fouler les routes et les chemins, toujours plus ardus, toujours plus lointains.

Léon était surnommé « le solitaire », il n’aimait pas se sentir obligé de côtoyer d’autres personnes et fuyait les grands rassemblements. Il n’était intéressé que par les rencontres qui avaient un sens à ses yeux. Certaines l’ont fascinées et il n’était pas rare qu’il fasse un bout de route avec des êtres absolument extraordinaires qui, comme lui, n’avaient de cesse d’explorer leurs propres émotions et sentiments pour tenter d’évoluer dans un monde qu’ils espéraient devenir plus responsable. Des hommes et des femmes dotés d’un humanisme et d’une sagesse sans faille. Il apprit énormément à leurs côtés.  

Puis dans les années 80, Léon rentra définitivement en Suisse. Il dût s’y résoudre, en prenant de l’âge, une vie de voyage n’était finalement plus envisageable. Il avait besoin de stabilité, d’un foyer et de sécurité.

Il aura essayé et tenu bon le plus longtemps possible.

Depuis sa rentrée au pays, Léon a consacré tout son temps libre à la recherche des meilleurs moyens de communication applicables entre les êtres. Il a été un excellent médiateur lorsque ses nombreux amis avaient quelques difficultés à reconnaitre leurs besoins réels et s’enlisaient dans les méandres de problèmes superficiels et inutiles.

Et aujourd’hui ?

Si un temps de replis est souvent favorable à chacun d’entre nous pour nous permettre de réfléchir sereinement à nos projets, nos envies, nos résolutions, la solitude et l’isolement prolongé sont, à contrario, une difficulté très importante à surmonter. Léon, malgré sa sagesse et ses capacités à faire face à toute adversité, avoue en souffrir énormément.

Homme de contacts et de communication, il sent le poids du silence peser sur ses épaules. Il envie les plus jeunes qui ont le droit de se rendre dans un magasin, de communiquer avec leurs collègues (même en virtuel), qui doivent heureusement faire face à l’irruption dans leur bureau-salon de leurs enfants. Chez lui, rien de tout ça ne vient perturber le silence de son deux-pièces. La télévision et la radio crachent leurs lots de mauvaises nouvelles, il a décidé de ne plus les écouter. Il y avait tous ces livres qu’il s’était juré d’ouvrir un jour, mais depuis 10 mois, il a eu largement le temps de les lire tous ! Il téléphone à un ami de temps en temps, mais il est vieux aussi et n’entend plus très bien. Les autres ? Ils ont depuis plusieurs années pris la poudre d’escampette pour un monde meilleur. C’est le lot des personnes qui survivent aux autres, ils se retrouvent délaissés par leurs amis dans ce bas monde…

Il y a bien Suzanne, l’infirmière qui passe une fois par semaine. Elle courre constamment après de précieuses minutes pour finir sa tournée dans les temps. Léon n’a jamais vu son visage en entier mais il a remarqué qu’elle avait de très jolis yeux ! Elle n’a pas beaucoup de temps à lui consacrer, il comprend très bien. Puis à 11h30, il y a le petit sac en plastique qui est déposé devant sa porte. C’est le repas de midi. Il ne rencontre jamais le dépositaire mais, par la fenêtre, il peut l’entrevoir : c’est un jeune-homme. Quelques fois ils échangent un signe de la main !

Léon se réjouit lorsqu’il neige. C’est une aubaine car les jeunes enfants du coin viennent quelques fois construire des bonhommes de neige ; ils sont amusants à regarder par la fenêtre du salon. Il aimerait tant leur donner un coup de main ; mettre la carotte en guise de nez et ramasser les petits cailloux qui dessinent la bouche !

Mais il fait partie des personnes à risque, il ne peut pas. D’ailleurs, les enfants auraient peut-être du recul devant ce vieux monsieur qui s’avance en tremblant avec son rollator… qui sait, ils partiraient peut-être ! Ça serait dommage !

Cher Léon, nous sommes toujours ravis de pouvoir converser avec vous. Vous n’en avez certainement pas conscience, mais lorsque nous raccrochons notre téléphone, nous restons pour un temps songeurs et pensifs. Nous nous questionnons. Nous essayons de trouver dans ce qui nous arrive actuellement, une raison à tout cela. Que devons-nous apprendre ? Allons-nous être capables de tirer des leçons pour le futur ? Une chose est vraiment certaine, nous apprécierons tous les moments, aussi simples soient-ils, qui nous permettront de nous rencontrer à nouveau. Chaque petit café à une table d’un bistrot aura la saveur d’un repas de roi et nous débattrons de la vie et de nos émotions avec un soulagement extrême.

Ce temps viendra… et comme nous le prédit Léon, il suffit d’attendre que le chêne devant sa fenêtre retrouve son panache de printemps et… alors…nous nous rencontrerons jusqu’à en être épuisés !!!